Bon jen Wobè,  Raspoutine

1969: RASPOUTINE RACONTE SES VACANCES CHEZ MAN FIFI

A chaque fois que je discute avec mon père, il me raconte une dinguerie! 
Sa vie est trop OUF pour moi! 

Au détour d’une banale discussion, mon père me lâche au téléphone:
“Nou alé adan an zouk kay Man Borot en mai nou rentre bo kay nou an octob!”

Wait what? qui squatte chez quelqu’un pendant 5 mois? 

J’ai demandé à mon père de m’expliquer et j’en ai fait un article parce que … C’est trop les gars! 

Bref RASPOUTINE, mon père vous raconte ses grandes vacances WTF chez mme FIFI Borot au Robert 

* C’est une retranscription, donc comme tout martiniquais qui se respecte mon père mélange le français et le créole. Pour garder l’authenticité et l’intensité du propos, je n’ai pas changé les expressions.

MAN FIFI UNE FEMME AU GRAND COEUR

Mme Févriette Borot ou Man Fifi c’était la voisine de tante Afine (Joséphine Harnais) au Robert, avant qu’elle ne parte vivre à Fort-de-France. 

Elle habitait à “Dèyè Bouc”, derrière la mairie, elle s’était fait construire une petite maison en bois et en tôle, un petit 3 pièces. 

Elle était mariée à M Raphael, je me rappelle de son mari, il était facteur, toujours avec son uniforme, son casque colonial kaki et son sac. 
Il allait distribuer son courrier à la campagne à cheval! Il avait un cheval! 

Et nous on allait baigner son cheval à Desroseaux (petite rivière qui passe à l’habitation Moulin à Vent)
Délè nou té ka monté a twa kat enlè chouval la! C’est des beaux souvenirs! 

M Raphael c’était un homme charmant toujours souriant, il aimait bien son punch aussi! 
Il disait “Man altéré fok man ay désaltéré” avant d’aller se servir un verre!

Mme Borot elle a perdu son mari très tôt, elle a dû s’occuper seule de ses 5 enfants: 
Bertrand, Jean, Marie, Marie-Cécile, Pierre, et George 

Ah Man Fifi c’était vraiment une Mère Thérésa… 
Même si elle n’avait pas vraiment les moyens financiers elle s’occupait de tout le monde! 

Tu sais, à l’époque Dèyè Bouc c’était la cour des miracles! C’était un peu comme la campagne, y’avait des gens de conditions modestes! 

Pa té ni dlo courante pa té ni électricité sé té fouyé difé!

@facebook Matinik Bel Peyi “an Ti Péyi Nou An”

Man Fifi c’était la seule qui avait un réfrigérateur à pétrole! Imagine! Elle n’avait même pas l’électricité c’était du pétrole! Tout’ moun sété pétrole! 

A l’époque la plupart des gens de Dèyè Bouc travaillent dans la canne, dans la banane, et souvent les enfants étaient un peu seuls à la maison, yo té enlè kô yo donc yo té ka vini kay man Borot!
Lè yo poko manjé Man Borot ka essayé ba yo an bagay pou tchenbé! 

Elle a toujours été comme ca… 
Elle s’est toujours occupée des gens cette dame là, elle a mis pris des enfants chez elle, avec l’assistance publique.

Epi surtout, quand tu venais chez Mme Borot tu étais toujours le bienvenue!

ANBIANS

Chez Man Fifi il y avait toujours des zouks!

Déjà je me rappelle dans les années 50 on faisait des “zouk-accordéons”: avec Gérald Lafleur, honoris japon, Gerard Priam à l’harmonica, Jerome Luxin au chacha …

Nou té ka fè Mizik-djol aussi! Oui des soirées où on chantait, pa té ni instrument pa té radio nouu té ka kwenyen enle vè enlè tab té ni chacha… Il n’y avait pas de tambour, à cette époque là le tambour avait un peu disparu.. 

Et puis dans les années 60 alors là ça a changé.
Mme Borot a acheté? je me rappelle un électrophone Teppaz à piles épi an gwo baffe

électrophone Teppaz

An tan tala té za ni 33 tours épi 45 tours: Tropicana, Django kont Zoro, mambo de Perez Pado Ismael Rivera …
Mais surtout c’était une autre génération, c’est Marie Borot (Porino), sa fille, qui a commencé à organiser des zouks chez sa maman!

Marie c’est une fille qui a toujours aimer la musique i té enmen dansé, chanté

Donc quand on a reformaté le groupe folklorique pour en faire le Grand Ballet de la Martinique, ils ont fait venir un chorégraphe américain Ronne AUL.
Yo mété bagay la wo nivo!”

Et Marie a été sélectionnée en tant que danseuse au grand ballet! 

Ahh elle a fait le tour du Monde: des tournées en France, en Europe, aux Etats-Unis, ils ont même joué au grand hôtel Waldorf-Astoria à New York! 

http://www.grandballetdemartinique.com/
http://www.grandballetdemartinique.com/ Suzon Sainte Rose

Alors Marie té konet anlo moun!! 

Et elle organisait des zouks où elle invitait ses copines ses copains, ses collegues du ballet! 

LES GRANDES VACANCES 1969 

MAI: LE ZOUK 

J’avais 23 ans, je revenais du service militaire en Guyane, je vivais à Fort-de-France, chez tante Afine. 

On est arrivé au Robert le soir, avec toute une bande de copains: Nestor Kelton Bertide, Roland Elzea, et Pierrot Duranty qui était aussi membre du Grand Ballet et qui avait été invité! 

On appelait ça les “zouk boutey“: les cavaliers apportaient une bouteille d’alcool et les filles “une surprise”, une tarte … Et les organisateurs s’occupaient du repas. 

A l’époque ce qui faisait fureur dans les zouks c’était les chèlous, les brochettes d’abats, accompagnés de riz.
Il y avait aussi des accras, de la soupe congo, une soupe à base de légumes et d’herbages.

Nou poko té adan poulet dévergondé!

Epi yan anbians, zouk la sété craché difé, sété vwéyé monté!

Il y avait de la bonne musique. Bertrand, le fils ainé était féru de musique latine alors on avait beaucoup de rumba plena, de musique cubaine, on dansait toutes les musiques: boléro, chachacha, mambo guaguanco, merengue on aimait beaucoup ca.

Nou té ka fè concou dansé chachacha…”

Cuban Pete and Millie Donay dancing at the Palladium

C’était l’époque des zayes, “an tan jénès Kannel” lè ou ka koumansé soti ou ka découvè la vi
Les jeunes profitaient des boléros et du quart d’heure de charme pour zayer, pawol initil té ka tombé! 

On s’amusait à compter le nombre de boléros qu’on a dansé, on se moquait des gars qui n’avaient pas de cavalières. On les appelait les “tapissè”, sa ki pa té ka jwen fanm pou dansé!
“Piew kay gonflé an soulié a foss rété doubout”

Bon nous avec les copains on y allait surtout pour la musique, sé nou ki té ka mété anbians!
Nou pa té ni bouzoin zayé fanm nou sav nou té ni la cote! 
On sort de Fort-de-France, nou sé dé stars! 

Ni dé boug sa pa fè yo plézi pask nou té ka rivé, épi nou té ka zayé sé fanm lan enlè yo !

En tous cas ces zouks avaient beaucoup de succès!
Moun moun moun! Il y avait toute la jeunesse robertine de l’époque.

Et Man Fifi était là, avec ses amies et elles regardaient la jeunesse s’amuser 
Epi Fifi enmen sa! Fifi conten! 

DES VACANCES INOUBLIABLES

Et puis la journée du lendemain est passée, à l’époque on avait pas de femme, ni d’enfants, nou pa té ni ayen enlè kont nou alors on a décidé de rester chez Man Fifi. 

On est descendu à Fort-de-France on est allé cherché des vêtements et on est remonté sur le Robert. 

On a emménagé chez Man Fifi, Les hommes dans une chambre, les femmes dans une autre chambre, le restan kay la sé ta nou 

Je revois les images: nous tous assis dans la pièce principale, à boire notre “dlo cho sik épi Nescafé” dans une chopine de bière…

Lè nou té faim Man Fifi té ka pren an dimi liv lentille, i ka koupé an fwi a pain épi adan an moment tout moun ka manjé 

Des fois on retournait en ville. Kelton et moi on travaillait à la Transat, donc quand il y avait un bateau qui arrivait, on prenait le taxi, “nou té ka alé chèché an mawon” (=un job au black) et on faisait du stop pour rentrer au Robert. 

On a passé de superbes vacances! 

Nou tou patou! On était invités à déjeuner à la campagne à Duchesnes, enfin c’est surtout Pierrot qui s’était fait beaucoup d’amis au Robert. Il avait grandit en ville mais il est né avec une âme de “neg la kanpan”

On allait prendre des bains de mer à la Pointe Fort, 

Jojo Lise avait un filet de senne, donc on péchait, on faisait des programmes blaff poissons, souskay djokok!

Halage de la senne de plage à Sainte-Marie (Martinique).
© Ifrfmer/A. Guillou

On jouait au football sur le stade du robert, “Au Niamou” on appelait ca “faire le crack” ou bien un “deux temps” (= un match, un swé) avec les Borot, les Moutonaco, avec Ti Toy…

Au niamou pas d’assurance lè ou té rivé la bagay la té danjéré!”

On était aussi des grands fanatiques du groupe El Tipico, Jojo Lise, Paulo Albin, André Pognon, Ti Gus Nodin
on les suivait partout. Ils jouaient beaucoup dans les communes du Nord Atlantique: dans les punchs en musique, dans les paillottes à la campagnes, dans les fêtes de quartier, au Printania à Sainte-Marie… 

Et puis, cette année là on avait organisé un méchoui à l’Ilet à Eau chez Paulo Albin, il y avait les amis de Crozanville, le quartier des artistes de Fort-de-France; la bande à Philippe Burdy Ralph Thamar, Christian TO, 

On a passé une superbe journée! Nou pren pié nou

Mais au retour, notre canot à moteur a pris panne dans la baie. On avait pas de voile, on avait qu’une rame! 

Alors comme on était près de la mangrove, on a coupé une branche de mangles, on a gardé les feuilles, on a mis la branche de la fouca du canot et comme on était en vent arrière, ça nous a servi de voile et ça nous a permis de pouvoir rallier le bord de mer épi nou dessen’ 

@facebook – ilet à eau

Je suis au Robert, je m’amuse avec mes amis, je n’ai même pas vu ma maman pendant ces vacances là!

Les copains ne veulent pas partir! Pierrot épi Kelton za jiss fiancé épi fanm wobè! 

La maman de Pierrot sortait de Fort-de-France, avec sa 403, elle faisait des courses à Fort-de-France et puis elle apportait les commissions au Robert chez Mme Borot! 
Elle lui donnait aussi de l’argent puisque sa grand-mère avait un bar, le St-Christophe à l’Asile, donc elle lui donnait un ti lan moné! 
Il achetait du poisson pour Mme Borot donc té ni manjé, té ni rhum té ni mizik té ni football 

Kay Man Borot sé kay nou! 

HOMMAGES

Je garde des souvenirs émus de cette période. 

C’était la jeunesse, c’était l’amitié aussi! 
On avait une bande de copains et cette amitié n’a pas changé. 

Quand un avait 10 Francs tout le monde avait 10 Francs. On partageait tout: la nourriture, les tickets de cinéma et même les tickets de bal (qu’on falsifiait pour que tout le monde puisse rentrer) 

On vivait simplement, mais on était ensemble. 

Me souvenir de cette époque, me donne aussi l’occasion de rendre hommage à Pierrot Duranty et à Kelton qui nous ont quitté. 

Pierrot nous a quitté l’année d’après. Ca nous a fait un coup. 

Il a été tué pendant le carnaval de 1970.
Il a eu une altercation avec un gars qui donnait des coups à une fille. Et il a voulu prendre la défense de la jeune fille, il a voulu s’interposer. Il était comme ça Pierrot, il prenait toujours la défense des gens.

@harnaisroger – pierre duranty

Et je devais être là ce jour là, avec lui. J’aurais pu être dans cette bagarre. 

Mais ce dimanche là, j’étais au Robert. On avait joué un match de football MEMORABLE: 
US Robert – Solidarité de Lestrade. 

Et avec Miko, mon frère on jouait pour Lestrade. 
On avait gagné l’US Robert 1-0, manman ça avait fait un tollé ni moun ki pa pren sa! 

Bref, je devais descendre à Fort-de-France ce soir là mais j’étais fatigué. 
A mon réveil ma ma maman m’a annoncé le décès de Pierrot. 

Je suis allé chez Jojo Lise qui habitait au bord de mer qui m’a confirmé son décès. 

Ah ça nous a fait un choc, la mort de Pierrot. 
Il y a bientôt 6 ans, Kelton aussi nous a quitté…

@harnaisroger – kelton
@harnaisroger – kelton

Alors ces vacances là, se sont des souvenirs qu’on chérit avec les copains.

Kay Man Fifi sé la ki té ni la vi!

Je considère les Borot comme mes frères, on a vécu beaucoup de choses ensemble. Leur maman était une femme extraordinaire et elle mérite qu’on lui rende hommage aujourd’hui.

9 commentaires

  • MONOTUKA

    Bonjour,

    Ravie d’avoir pris lecture du récit.

    Meme en n’étant pas de la même génération, j’ai pris pris plaisir à la lecture.

    Je suis originaire du Robert et j’ai connu Madame Fifi.

    Le style utilisé pour la narration est excellent.

    Les petites histoires du genre, mises les unes à la suite des autres devraient faire l’objet d’un livre.

  • SORBE Prosper

    Tout a été dit, moi aussi j’ai connu ces ambiances chez FIFI. Nou té ka passé vacances Kaye Fifi, pourtan nou ka habité Robè. Elle nous manque énormément.

  • DARIEN

    ma soeur ma envoye la photo de man fifi j’ai lu l’article sur votre site et j’ai excusé moi pleurer car ma tante etais une femme formidable oui c’etait ma tante j’ai ete eleve part elle et sa soeur ( ‘ma grand mere) supert votre article

    • Brenda14

      Je ne pensais pas en écrivant cet article qu’il ferait remonter autant de souvenirs auprès des robertins. Je suis d’autant plus heureuse d’avoir pu rendre hommage à cette femme, que je n’ai malheureusement pas connu.

  • Darien

    Trop de souvenirs ça me bouleverse mais ça fait du bien encore de relire ceux qui peuvent se rappeler de moi c’est (Gilbert le petit fils de maman doudou solinette . Aux plaisir de relire

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